25 April 2021
Cambodia

La question du recours à l’arbitrage au Cambodge

Avec les investissements toujours en hausse et la croissance spectaculaire et continue du Cambodge, la question de l’exécution des contrats et de la résolution des conflits et des différends est devenue centrale pour les investisseurs et entrepreneurs.

Le développement du commerce et des investissements en Asie a entrainé une augmentation subséquente des différends internationaux relatifs au commerce. Or, pour beaucoup de nations asiatiques, cela s’est ajouté à des affaires déjà trop nombreuses pour des tribunaux dépassés, surtout dans les pays encore en développement. Par conséquent, les modes alternatifs de résolution des conflits, et notamment l’arbitrage, se sont développés. La plupart des pays asiatiques ont ratifié la Convention de New-York et la Convention du Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI).

En parallèle, il y a de plus en plus de Traités Bilatéraux d’Investissement et d’Accords de Libre Échange en Asie, ce qui favorise le développement et l’usage de ces modes de règlement du conflit.

Les avocats de l’ASEAN ont dû faire face à un nombre croissant de litiges et de différents internationaux.

En Europe, le règlement Bruxelles I (refonte) prévoit les solutions pour les litiges en matière civile et commerciale. Il détermine la juridiction compétente en cas d’élément d’extranéité dans une affaire et prévoit un mécanisme simple de reconnaissance et d’exécution des décisions de justice rendues dans un autre Etat membre de l’UE. En ce qui concerne la loi applicable à un litige, les règlements Rome I et Rome II fixent des règles selon que le litige s’inscrit dans un cadre contractuel ou non.

Or, un tel cadre n’existe pas au sein des pays de l’ASEAN, ce qui crée un fort niveau d’incertitude quant aux litiges internationaux.

En matière d’arbitrage international, la convention de New York garantit que les sentences arbitrales rendues dans un État signataire seront reconnues et exécutées dans tous les autres États signataires.

Actuellement, 168 pays, au nombre desquels les dix États membres de l’ASEAN (et donc le Cambodge), sont parties à cette convention.

En ce qui concerne les litiges entre les investisseurs et un état, le Cambodge figure également parmi les 163 États contractants de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (1965) (Convention CIRDI). Une sentence du CIRDI est l’équivalent d’un jugement définitif d’un tribunal dans tous les États contractants du CIRDI et est donc directement exécutable.

 

Quelle est la position du système judiciaire au Cambodge ?

Pour comprendre l’intérêt du recours à l’arbitrage au Cambodge, il est nécessaire d’évoquer le cadre judiciaire du pays. Celui-ci est encore en pleine construction et connait des évolutions rapides. Néanmoins, ce système ne dispose pas encore de tribunaux spécialisés (notamment de juridictions commerciales dédiées).

Le système judiciaire étant encore lacunaire, des précautions sont nécessaires en cas de contrats et investissements importants. Les lacunes du système judiciaire cambodgien ont été passées au crible par le Rapport de la Banque Mondiale « Doing Business in Cambodia » sur l’exécution des contrats et l’efficacité du processus judiciaire en général. Ce rapport mesure, entre autres, le temps et le coût pour la résolution des litiges commerciaux.

Afin d’évaluer la rapidité des tribunaux cambodgiens, rapport 2020 s’est fondée sur le temps de traitement des affaires par les tribunaux ainsi que sur le délai d’exécution dudit jugement. En fonction de ces critères, il a été déterminé que le Cambodge possède un système judiciaire relativement lent puisque le temps pour rendre une décision et l’appliquer est de 483 jours. Mais ces délais restent à relativiser puisqu’ils restent bien inférieurs aux 637,4 jours que mettent en moyenne les pays de l’Union européenne à traiter une affaire…

Pour ce qui est de l’efficacité du système judiciaire cambodgien, ce rapport a relevé qu’en moyenne, les frais déboursés pour une action en justice au Cambodge représenteront au final 103,4% de la valeur du litige lui-même… En France, les frais de justice ne représentent en moyenne que 20% pour cent de la valeur du litige lui-même…

Néanmoins, il faut également noter des indicateurs d’une tendance à l’amélioration du système. Très récemment, le ministère de la Justice a, pour la première fois, publié des décisions de justice issues du contentieux civil. L’on assiste aux prémisses de la création d’une jurisprudence.

Selon le ministère de la justice, toutes les décisions devraient dorénavant être rendues publiques, sous réserve de ne pas compromettre la vie privée des parties. Ces publications pourront être étudiées aussi bien par les professionnels et praticiens du droit mais également par les étudiants. Sur le long terme, cette initiative vise à uniformiser les décisions de justice qui sont rendues au Cambodge[1]. Chin Malin, l’actuel porte-parole du Ministère de la Justice, s’est exprimé à ce sujet : “C’est le début de la publication des verdicts. Nous commençons avec ces 44 verdicts civils, et nous publierons d’autres affaires civiles et pénales à l’avenir. Il s’agit d’un outil de connaissance pour les étudiants et les responsables de l’application de la loi. Mais cela prend un certain temps car nous devons les vérifier soigneusement avant de les publier afin d’éviter tout conflit avec nos normes professionnelles”.[2] (Traduction non officielle)

Les entrepreneurs devraient donc, afin de pallier cette situation, prévoir eux-mêmes différents moyens de régler un litige commercial sans passer par le système judiciaire cambodgien. A cet effet, il est fortement recommandé de prévoir préalablement plusieurs types de clauses dans les contrats. Par exemple, si un litige survient entre deux parties et qu’elles souhaitent régler ce litige par la voie de l’arbitrage, il faudra généralement que le contrat à l’origine du litige contienne déjà une clause le prévoyant lors de sa signature.

Le Cambodge a été l’un des premiers pays à adhérer à la Convention de New York permettant l’exécution des sentences arbitrales mais le régime de Pol Pot a anéanti ses effets. L’adoption de la loi sur l’arbitrage commercial intervient donc bien plus tard, en 2006. C’est à ce moment qu’est créé le Centre National d’Arbitrage Commercial du Cambodge (NCAC). Depuis 2014, le NCAC a mis en place une liste d’arbitres capable de procéder à des arbitrages en khmer et en langue étrangère notamment l’anglais. Cet organe est opérationnel officiellement depuis 2013 et connaît, depuis lors, une activité de plus en plus soutenue.

Pourquoi recourir à l’arbitrage au Cambodge ?

L’arbitrage est un moyen de jugement qui peut être plus rapide que le système national. Lorsque l’on passe par l’arbitrage, il n’y a pas de procédure d’appel possible, la solution est directement rendue et applicable.

Or il existe 3 instances au Cambodge, ce qui peut rallonger les délais de jugement mais également les frais de justice et d’avocats à tous les niveaux.

Les audiences peuvent même s’effectuer en ligne dans le cadre du Covid, ce qui facilite grandement le déroulement des procédures. Au tribunal, les justiciables ou du moins leurs avocats et les témoins doivent également être présents physiquement. L’arbitrage, quant à lui, peut se faire en ligne, ce qui permet d’économiser grandement quant aux dépenses de transport, ce qui n’est pas négligeable eu égard au le contexte actuel.

L’arbitrage peut être rendu en langue étrangère, or les tribunaux cambodgiens statuent seulement en khmer et seules les pièces en khmer y sont acceptées. Les coûts de traduction des documents peuvent être prohibitifs.

L’arbitrage confère aux parties une grande flexibilité sur ce point, leur permettant d’utiliser la langue et même le droit applicable de leur choix.

Enfin, les jugements des tribunaux cambodgiens ne sont pas exécutoires dans d’autres pays et ne peuvent donc pas être appliqués ailleurs qu’au Cambodge, sauf au Vietnam puisque les deux pays ont signé un accord de réciprocité quant à l’exécution des décisions.

Les décisions arbitrales, y compris celles sous l’égide du NCAC sont exécutoires dans chaque pays signataire de la Convention de New York. Parmi les décisions de justice étrangères, comme vu précédemment, seules les décisions vietnamiennes peuvent être exécutées au Cambodge. La force exécutoire des décisions de justice cambodgiennes dans un pays étranger dépend du droit interne de l’État dans lequel la partie gagnante veut les faire appliquer, mais il n’existe, pour l’instant, à l’exception du Vietnam qui a signé un traité bilatéral avec le Cambodge, aucun pays qui reconnaisse et exécute les décisions de la justice cambodgienne.

Néanmoins, il faut garder à l’esprit que le recours à l’arbitrage n’est pas une solution miracle. En effet, y recourir sera toujours très coûteux pour les parties et cela ne présente donc qu’un intérêt limité pour les petits litiges. Cette alternative sera en pratique privilégiée pour d’importants contrats/projets/investissements.

Récapitulatif des avantages potentiels conférés par une décision arbitrale:

 

Cet article est publié à des fins d’information générale uniquement et ne se substitue en aucun cas à un avis juridique.

 

[1] https://www.henricapitant-cambodia.org/publicite-decisions-de-justice-contentieux-civils-cambodge-4014.html

[2] Traduction non officielle , voir https://www.phnompenhpost.com/national/courts-decisions-now-published-reference-source