27 May 2021
Cambodia

Aspects du droit du travail et de la conformité des entreprises au Cambodge

Si l’on a coutume de penser, souvent à tort, que le cadre juridique cambodgien est nébuleux ou permissif quant à la législation encadrant le travail, il faut bien avoir à l’esprit qu’au contraire, le droit du travail est très fourni et son respect constitue l’une des priorités du gouvernement cambodgien.

A quoi faut-il s’attendre de la part de l’inspection du travail?

Le Département de l’Inspection du Travail, placé sous l’autorité du Ministère du Travail et de la Formation Professionnelle (“MLVT” en anglais) est composé de plusieurs équipes d’inspection et agit en étroite collaboration avec plusieurs ministères du gouvernement. À ce jour, le MLVT a constitué des équipes d’inspection commune avec le Ministre de l’Environnement, le Ministre de l’Industrie et de l’Artisanat, le Ministre du Tourisme et le Ministre de l’Immigration.

L’inspection du travail n’a pas un rôle spécialement répressif et cherche en premier lieu à aider les entreprises à être en conformité avec le droit cambodgien et les standards des conventions de l’Organisation Internationale du Travail que le Cambodge a ratifiées (8 conventions fondamentales + 5 autres conventions).

En effet, le PIB du pays reposant sur l’industrie et des usines où les conditions de travail peuvent être particulièrement difficiles, il est nécessaire de s’assurer que les entreprises soient en conformité avec le droit du travail et les autres règlementations offrant un minimum de sécurité aux salariés.

Quels sont les éléments analysés par l’inspection du travail?

Pour mener à bien sa mission de vérification de la conformité des entreprises au droit du travail cambodgien, l’inspection du travail dispose de larges prérogatives (article 346 du Code du travail) de nombreux documents dans le but d’examiner la conformité générale de l’entreprise au droit du travail et à la sécurité des salariés.  Cela comprend, non exhaustivement :

La déclaration d’ouverture de l’entreprise et de mouvement du personnel

Cette déclaration est faite au moment de la constitution de la société, qui comprend la déclaration initiale sur les mouvements de personnel attestant du nombre total de salariés au moment du démarrage des activités. La déclaration sur le mouvement du personnel doit être faite dans les 15 jours suivant l’embauche ou le licenciement d’un employé. (Article 21 du Code du Travail).

Les documents de travail

  • Il s’agit principalement des permis de travail et des cartes d’emploi, aussi bien pour les salariés internationaux que cambodgiens. Si l’employeur engage des étrangers, il devra prouver qu’il possède le permis annuel permettant d’employer des salariés de nationalité étrangère (Permis de Quota Annuel). En outre, le permis de travail des employés étrangers sera examiné (Article 264 du Code du Travail).

Les contrats de travail (en partie couverts par les articles 65 à 96 du Code du Travail)

Les contrats de travail sont particulièrement importants et seront souvent étudiés en premier lieu carles contrats de travail sont des contrats spéciaux régis par le droit du travail.

  • Le cas des contrats à durée déterminée

Il convient de rappeler que les contrats de travail à durée déterminée ne peuvent être conclus pour une période supérieure à deux ans et, s’ils sont renouvelables plusieurs fois, ne doivent pas dépasser une durée totale de deux ans (article 67 du Code du Travail). Toutefois, cette durée est de 2 ans en cas de travail continu. En d’autres termes, si l’employé arrête de travailler et que la limite des 2 ans n’a pas été atteinte, il est tout à fait possible de le réembaucher sous forme d’un contrat à durée déterminée, à condition qu’il y ait eu une pause avec le précédent CDD. Cette question a fait l’objet d’une directive du Ministère du travail en 2019. Cette directive 050/19 reconnait qu’un employé puisse être réembauché par un contrat à durée déterminée s’il y a eu une pause d’au moins un mois entre le terme du contrat initial et le commencement du nouveau contrat.

  • La période d’essai

Tout comme les contrats a durée déterminée, les périodes d’essai pouvant être stipulées dans un contrat sont également limitées de 1 mois à 3 mois maximum selon le degré de spécialisation du salarié. (Article 68 du Code du Travail)

  • Les conditions de suspension et de rupture du contrat de travail

La encore, il faut être vigilant puisque la rupture d’un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) est strictement encadrée et exige une raison valable de la part de l’employeur, basée sur le comportement ou l’aptitude du travailleur (Article 74 du Code du Travail), ainsi qu’un délai de préavis adéquat (article 75 du Code du Travail), sauf cas particuliers. Il faut également prévoir des indemnités suffisantes.

Même si les contrats peuvent être à la fois écrits et verbaux, il est d’une importance cruciale pour l’employeur de tenir à jour un livre de paie de tous ses salariés (Article 39 du Code du Travail) car l’inspection du travail aura, évidemment, comme priorité de vérifier le paiement en bonne et due forme de tous les employés.

Les conventions collectives de travail (Articles 96 et suivants du Code du Travail)

Certains secteurs dont le textile sont régis par des conventions collectives de travail qui ont leurs propres règles. De fait, ces conventions peuvent contenir des mesures plus favorables aux travailleurs et il faut donc en tenir compte pour la conformité de l’entreprise.

Les salaires et leur paiement

Point sensible, le salaire doit correspondre, au moins, au salaire minimum fixé par un Prakas du Ministère du Travail, lequel est révisé régulièrement. (Articles 104, 105 et 107 de la Loi sur le Travail). Il est intéressant de noter que le salaire ne peut pas être versé un jour où l’employé ne travaille pas (Article 115 du Code du Travail). De plus, le versement des salaires pour les ouvriers doit suivre des règles particulières car il ne doit pas s’effectuer mensuellement mais bimensuellement, au minimum (Article 116 du Code du Travail). Les “ouvriers” sont définis comme les travailleurs n’étant ni employés de maison ni salariés, qui exercent principalement une prestation de travail manuelle, en retour d’une rémunération, sous la direction d’un employeur (Article 6 du Code du Travail). Il faut garder à l’esprit que le salaire initialement prévu dans le contrat de travail est sujet à des évolutions régulières, puisque les salariés bénéficient légalement d’indemnités relatives à leur ancienneté dans l’entreprise.

Les horaires de travail et les heures supplémentaires

Autre point à ne pas négliger, les horaires de travail doivent avoir été clairement établis et être conformes au Droit du Travail cambodgien, tant en matière d’horaires que de taux applicable aux heures supplémentaires. En outre, la limite hebdomadaire de travail est de 48 heures (article 137 du Code du Travail). Le taux de majoration des heures supplémentaires et du travail de nuit a été défini aux articles 139 et 144 de l’amendement de 2007 sur le Droit du travail.

Les congés (jours fériés et congés annuels)

Il existe deux principaux types de congés :

  • Les congés annuels, qui ne sont pas nécessairement accordés par l’employeur lors de la première année de service (article 166 du Code du Travail). Ils se calculent de la manière suivante : 1,5 jours de congé annuel acquis par mois complet de service (soit 18 jours par année de service complet). Attention néanmoins, car cette méthode de calcul peut changer en fonction de l’ancienneté du travailleur. En outre, Les congés maladies ne peuvent pas être déduits des congés annuels.
  • Les jours fériés nationaux, qui ne doivent pas être confondus avec les vacances annuels, doivent être accordés aux salaries et sont définis chaque année par un Prakas. Il faut être prudent sur ce point car en cas de travail lors de ces jours fériés, un bonus devra être accordé en plus du salaire habituel.

Le règlement intérieur de l’entreprise (le cas échéant)

Si l’entreprise emploie plus de 8 personnes, elle doit alors adopter un règlement intérieur (article 22 du Code du Travail), dont le contenu est défini par le Droit du Travail avec lequel il doit être en conformité.

La sécurité sociale

L’inspection du travail est un élément de protection pour les salariés. A ce titre, elle vérifie en priorité que les cotisations soient et aient été régulièrement payées par l’employeur au Fonds national de la sécurité sociale (connu sous l’acronyme NSSF en anglais) et que l’entreprise soit en conformité globale avec la loi sur la sécurité sociale. Les salariés doivent bien y avoir été enregistrés.

Santé, sécurité et sureté au travail

L’entreprise doit respecter les règles de sécurité en vigueur sur l’hygiène. Les accidents du travail doivent avoir fait l’objet d’un rapport. Les règlementations en la matière peuvent être nombreuses. L’une des dernières en date sur est le Prakas N° 429/20 sur l’examen médical des employés cambodgiens. Auparavant, les examens ne pouvaient être effectués seulement dans des établissements de santé du Département de la Sécurité et la Santé (DOSH en anglais).  Le Prakas n° 429/20 clarifie la procédure d’obtention du certificat d’examen médical en ligne auprès du DOSH. Les employés cambodgiens doivent effectuer un examen médical avant de commencer à travailler, lors d’un changement d’emploi et/ou d’entreprise/usine et ce, tous les deux ans s’ils ne relèvent pas des deux cas précédents.

Attention ! Tous les éléments présentés ne donnent qu’un léger aperçu de ce a quoi il faut s’attendre et la présente liste est évidemment très loin d’être exhaustive.

A quelle fréquence faut-il s’attendre à être contrôlé?

L’inspection régulière du travail

Les inspections régulières ont lieu, généralement, tous les ans. L ’entreprise est informée au préalable par notification écrite de l’inspection du travail. Toutefois, les inspecteurs du travail peuvent également décider d’entrer à tout moment dans une entreprise sans notification préalable (Article 346 du Code du Travail). Néanmoins, le processus de notification écrite préalable sera presque toujours utilisé, sauf dans des cas exceptionnels.

L’inspection spéciale du travail

A l’issue de l’inspection régulière, l’inspection du travail délivrera un certificat de conformité ou une ordonnance de correction. Dans le cas d’une ordonnance de correction, l’inspection du travail pourra revenir à tout moment après l’expiration d’un délai minimum de 45 jours pour vérifier que l’entreprise s’est bien conformée au procès-verbal dressé par l’inspection du travail. Les inspections qui sont conduites après avoir constaté que l’entreprise n’était pas en conformité avec le droit du travail sont appelées les inspections spéciales du travail. Contrairement à l’inspection régulière, les inspections spéciales se réalisent sans notification préalable et peuvent donc intervenir à tout moment passé le délai de 45 jours laissé à l’entreprise pour rectifier les problèmes de conformité dressés par le PV de l’inspection du travail.

L’inspection spéciale non planifiée

Dans tous les cas, si des plaintes ou rumeurs relatives à la sécurité sur le lieu de travail ou à des accidents au sein d’une entreprise font surface sur les réseaux sociaux, ou sont envoyées à l’inspection du travail, ses inspecteurs pourront décider à tout moment de mener une enquête de conformité. Ce type d’inspection se nomme l’inspection spéciale non planifiée. Attention donc aux accidents du travail ou à la mauvaise presse sur les réseaux sociaux !

À cet égard, le MLVT prévoit de mettre en place un système de signalement mobile qui permettra aux employés de faire part de leurs préoccupations concernant les pratiques en matière d’emploi sur le lieu de travail. Les employeurs devront alors être prudents en ce qui concerne leurs pratiques d’emploi dans l’entreprise, sinon ils risquent de se faire avoir lors de ces inspections !

Quels sont les principaux risques pour l’entreprise en cas de non-conformité?

Les risques sont importants et doubles.

Les risques émanant des salariés

En réalité, les salariés sont les premiers concernés par la conformité. Des défauts relatifs aux aspects précités (Contrats, congés, horaires de travail etc.) sont la porte ouverte à des réclamations émanant des salaries qui n’auraient pas bénéficié comme il se doit des dispositions prévues dans le Code du Travail. Plus l’entreprise compte de salariés, plus les risques sont démultipliés. Les salariés s’estimant lésés disposent d’un délai de 3 ans pour contester leur rémunération (à compter de la date à laquelle ils ont perçu leur salaire).

Les risques émanant de l’inspection du travail

Les risques financiers sont très importants, mais ça ne s’arrête pas là puisque des peines d’emprisonnement sont même prévues en cas de violation de certaines dispositions du Code du Travail. On peut parler de droit pénal du travail.

Le Code du Travail prévoit d’innombrables amendes en cas de violations de ses articles. Il suffit d’aller regarder les articles 361 et suivants de la loi travail pour s’en rendre compte. Les amendes peuvent être infligées soit par le Ministre du Travail, soit par une décision émanant du tribunal de première instance. Le montant de ces amendes est défini quant à lui dans le Prakas no 659 du Ministère de l’Economie et des Finances et peut varier selon que l’amende est imposée par le Ministère du travail (montant fixe) ou par une décision du tribunal (montant variable avec minimum et maximum définis)

Les amendes peuvent aller de KHR 400000 (environ USD 100) a KHR 14.4 milllions (environ USD  3530) selon l’article de loi violé. A titre d’exemple, empêcher un inspecteur du travail d’effectuer sa mission est passible d’une amende de KHR 10.8 million si elle émane du Ministère du travail et entre KHR 4.8 millions et KHR 14.4 millions si prononcée par une décision du tribunal.

Le montant de la majorité des amendes imposées par le Ministère du travail est de KHR 1.6 million (environ 410 USD). C’est ce montant qui trouvera par exemple à s’appliquer en cas de non-conformité pour le paiement des heures supplémentaires, horaires de travail ou encore pour le fait de ne pas payer d’indemnité adéquate au salarié ayant travaillé pendant un jour férié.

Il y a donc un réel droit pénal du travail. Le risque que font peser les amendes sur l’entreprise est très important puisque les amendes pour violation de la loi travail sont cumulables entre elles et il en existe plus d’une centaine !  Nul besoin de préciser que la note peut rapidement être salée.

Processus d’inspection du travail

Le contexte actuel ne nous enseigne que trop bien à quel point il est préférable de prévenir plutôt que de guérir en consultant un avocat spécialiste de droit du travail.

 

Cet article est publié à des fins d’information générale uniquement et ne se substitue en aucun cas à un avis juridique.